Le monde n’a pas toujours ressemblé à ce qu’il est. Il y a fort longtemps, le Ciel se tenait si proche, si proche de la Terre, que tout ce qui vivait rampait, aplati contre le sol, sans pouvoir grandir et s’élever. Les oiseaux piétinaient la poussière en se lamentant, les arbres rabougris étalaient comme ils pouvaient leurs branches emmêlées sur des pierres ou des tas d’humus, et les êtres humains étaient tous de taille minuscule. Non seulement rien ne pouvait grandir, mais à tout instant, si on n’y prenait garde, on se cognait durement contre le Ciel, et dans le village cashinahua, l’on entendait souvent des cris : aïe ma tête ! oh, mon coude…
C’est d’ailleurs ce qui arriva un jour à une petite fille qui jouait tranquillement. Prise par son jeu, elle se releva un peu brusquement, et bang ! son front heurta le Ciel, lui causant une vive douleur. La petite, très en colère, se mit à invectiver le Ciel :
– Qu’est-ce que tu fais là, toi, tu ne vois pas que tu gênes ? Pousse-toi ! Tu me serres trop, tu m’étouffes ! Va-t-en, gros balourd !
Blessé, le Ciel répondit : – ça va, ça va, calme-toi, dis-le si je dérange ; je m’éloigne, cesse de crier.
Il s’éleva un peu, disant : – Tu es contente ?
Mais la fillette, qui avait toujours mal, rétorqua : – Non, pousse-toi encore !
Le Ciel s’éleva encore : – C’est assez ? Tu es satisfaite, cette fois ?
– Non, va-t-en, encore, encore !
Le Ciel s’éleva, s’éleva, demandant à l’enfant si c’était assez, et celle-ci répondait : pousse toi encore ! jusqu’à ce qu’il fut si haut, aussi haut qu’il l’est maintenant, que la fillette ne l’entendit plus.
C’est ainsi que le Ciel prit la place qu’on lui connaît. Les arbres s’empressèrent de se redresser, de tendre leurs branches vers la lumière, les oiseaux se mirent à voltiger à qui mieux mieux tandis que les singes bondissaient dans les ramures. L’herbe même se mit à pousser droit. Quant à nous, les Cashinahua, nous cessèrent d’être minuscules, nous pûmes enfin grandir.