Conférences et contes

Des conférences et interventions en des lieux très divers (Paris, Besançon, Annecy, Bourg en Bresse, Chalon sur Saone, Carcassonne, Evian, Lure,…) et en des occasions diverses (congrès, colloques, soirées, stages de formation, Universités d’Eté et Universités inter-ages…)

L’intérêt de l’auteure pour les contes et les mythes et sa pratique de conteuse l’ont amenée à mettre en forme des « conférences contées », au cours desquelles elle introduit et éclaire son sujet, puis donne le récit lui-même. A titre d’exemples : l’épopée de Gilgamesh (Mésopotamie), le Dit des Vrais Hommes (Amazonie) explorent ce qui fonde nos diverses cultures, et au delà de cette diversité, ce qui fonde le fait humain.

Elle propose également d’autres type de conférences, les « conférences-études » où elle propose et approfondit un sujet. A titre d’exemple, l’une : « Contes et éveil psychique », en lien au contenu d’un de ses livres, porte sur la façon dont notre esprit se nourrit avec les contes. Une autre traite de la violence conjugale, l’aspect à la fois historique et social du phénomène se croisant avec la sphère intime des personnes concernées. Son titre : « La violence conjugale, comment en sortir », nous dit qu’il n’y a pas de fatalité.


Des contes pour aider à vivre // Contes et Eveil Psychique

(voir aussi Contes et Éveil Psychique dans la rubrique « livres »)

Une conférence sur la façon dont notre esprit se nourrit avec les contes et sur les liens qui se tissent entre paroles de contes et paroles de vie.

Psychologue et conteuse, la conférencière part de contes traditionnels pour montrer comment ces récits, et d’autres, peuvent soutenir l’existence de tout à chacun, enfant, adolescent, adulte, en particulier lors d’étapes difficiles.

Sans jamais proposer de recettes toutes faites, ces récits offrent des repères, indiquent des voies de passage, offrant toujours de l’espoir.


Oser conter

(voir aussi Des Contes en partage dans la rubrique « livres »)

Conter, Oser conter…

Oui mais comment conter, conter quoi et à qui ? Il existe tant de récits adaptés à tant d’âges et à tant de situations différentes.

Que nous transmettent les contes ? Ils nourrissent notre esprit, nous permettent de grandir, de mieux nous comprendre, de mieux vivre avec les autres.


Contes et marionnettes

Une marionnettiste, Madeleine Lions, a coutume de dire ceci : contes et marionnettes font bon ménage. De quel ménage s’agit-il ? De quelle entente ? On entend par ce mot « ménage » qu’ils appartiennent à la même maison, celle de la création et de l’imaginaire.

Les contes en savent quelque chose, ils nous parlent bien souvent de cette maison, et certains, de façon plus précise, nous renseignent sur les processus engagés par la création de marionnettes.

C’est ainsi que dans le conte chinois La tête d’argile, un moine est condamné à ce que sa tête éclate en sept morceaux quand le soleil se lèvera. Le moine, qui veut vivre, saisit de la terre meuble, façonne une tête à sa ressemblance, lui donne son nom et c’est cette marionnette qui vole en éclats, le libérant de la malédiction.

La création de nos « êtres » sous la forme de marionnettes, mobilise de façon très puissante les ressources de notre psyché. C’est la marionnette, créée, nommée et mise en jeu, qui parle à notre place, c’est elle qui prend les coups, elle qui se risque aux étrangetés du rêve, aux audaces de la vérité.

La conférencière se propose, à l’aide d’exemples, de dire combien contes et marionnettes, ensemble, mobilisent, enrichissent cet espace proprement humain qu’est celui de l’imaginaire, imaginaire qui soutient le travail de la pensée.

Voir article « Des marionnettes pour se dire »


Les contes de Grimm

Les contes de Grimm sont universellement connus, Blanche-neige, La belle au bois dormant, Hans et Grétel… L’auteure explique la démarche des frères Grimm quand ils ont collecté ces contes de la tradition orale. Nous parlons de leurs significations latentes et disons en quoi ces récits sont structurants pour les enfants.


L’épopée de Gilgamesh

(voir aussi L’épopée de Gilgamesh dans la rubrique « livres »)

Environ 3 800 ans avant notre ère, l’humanité invente l’écriture en Mésopotamie. Depuis des siècles déjà, il se raconte dans cette région du monde une vaste épopée, dont le héros, à la fois fils des dieux et des hommes, se nomme Gilgamesh.

Ce récit s’est formé à la charnière de l’âge de pierre et de l’âge de bronze. Gilgamesh, lui, est à la charnière du monde divin et du monde terrestre. Sa filiation humaine le soumet aux lois ordinaires des hommes : il est mortel et son pouvoir est limité. Révolté, désespéré par de si violentes contraintes, il part à la recherche de l’immortalité.

Sa quête, et les réponses qu’il recevra, le profond travail d’humanisation qui s’opère alors, nous concernent tous, et restent totalement actuels.

Cette épopée est introduite, puis contée.


Contes et mythes
des Indiens Cashinahua (Amazonie)

(voir aussi Mythes et Contes des Indiens Cashinahua dans la rubrique « livres »)

Dans les années 1970, un anthropologue français : André-Marcel d’Ans, part à la rencontre d’un petit peuple amazonien réfugié au cœur de la forêt : les Cashinahuas. Emerveillé, il découvre une culture intacte, dont il recueille avec bonheur récits et coutumes.

Les « Vrais Humains », tel est le nom que ce peuple se donne à lui-même. Les questions qui travaillent l’ensemble de leurs contes et mythes sont en effet celles de toute notre humanité : respecter l’interdit de l’inceste, quitter un jour l’enfance et devenir adulte, être solidaire les uns des autres, et bien d’autres.

Ces récits sont introduits, commentés et contés.


Tawa, l’esprit du soleil

mythes et contes amérindiens

S’appuyant sur des mythes et des contes amérindiens, cette conférence nous parle des conditions de notre grandir humain et de la constitution de la force intérieure qui nous est nécessaire pour franchir nos épreuves ordinaires ou exceptionnelles.


Œdipe et ses sœurs

de l’Interdit de l’inceste

Toutes nos sociétés humaines ont été et sont soumises à l’Interdit de l’inceste.

Seuls, des êtres pareils aux dieux, tels les pharaons, s’élevaient au-dessus de la Loi.

Que ce soit Moïse, avec les tables de la Loi et le Lévitique, ou le mythe grec d’Œdipe, nos grands textes civilisateurs désignent fermement ce socle de notre humanisation.

L’Interdit vient dire aux parents : ne dévorez pas vos enfants, ne les gardez pas pour vous, laissez-les se développer et connaître à leur tour une vie d’adulte, ils ne sont pas vos choses.

La transgression cependant existe, jugée par la loi française en tant que crime. Qui sont les auteurs ? Comment repérer les faits ? Que faire quand un enfant se confie à nous ? Comment guérir du malheur de l’inceste ?

Toutes ces questions seront abordées par l’auteure, à l’aide du mythe d’Œdipe et d’exemples tirés de son expérience.


Conter à des femmes africaines
demandeuses d’asile

Conter à des femmes africaines demandeuses d’asile, Edith Lombardi, EMPAN, Éditions Érès, n° 101, 2016.

Intervention au colloque organisé par l’Association La Lueur des contes (13 et 14 février 2013) sur le thème de L’apport des contes :

Il se trouve qu’au cours de mon accompagnement de femmes victimes de violences, j’ai reçu, je reçois, des jeunes femmes africaines demandeuses d’asile. A diverses reprises, des contes, des mythes, me sont venus, afin de rejoindre ces femmes et de réussir à leur parler, là où elles pouvaient elles aussi me rejoindre et m’entendre. C’est de ces rencontres, à l’aide du conte, et du conte au cours de ces échanges, dont je vais parler.

Tout en prenant la question de mon accompagnement sous l’angle de mon usage des contes, cet exposé aborde les fondements de mon travail.

Rachel

J’ai rencontré Rachel à Solidarité-femmes. J’y travaille en tant que psychologue, je reçois les femmes à leur demande.

Cette fois, la demande vient d’un autre service social, le Cauda, (Centre d’Accueil d’Urgence de Demandeurs d’Asile) dont les éducateurs, émus par la situation de Rachel, cherchent de l’aide pour elle, une aide urgente. On me prévient qu’elle vient d’Angola, qu’elle ne parle pas français, qu’elle sera accompagnée par une interprète.

Arrive une grande femme que je sens éprouvée, mais en capacité de d’échanger. Ce n’est pas toujours possible, il m’est arrivé de recevoir des demandeuses d’asile si souffrantes que j’ai commencé par faire de la poterie avec elles. Ce fut le cas de Sonia, qui venait du Congo Kinshasa. Elle était si meurtrie que le seul fait de lui demander comment elle était arrivée en France a réactivé en elle un état de terreur, manifesté par des tremblements, des spasmes, qui pouvaient faire penser à de l’épilepsie. Sonia et moi sous sommes donc installées autour d’un bloc de terre et nous avons roulé des pâtons pour faire des maisons. J’en ai fait une, elle en a fait une. Puis elle a peuplé la sienne de ses frères et soeurs, des poules ont surgi dans la cour. Quelques rencontres plus tard, elle avait quelque peu apprivoisé sa peur et m’a dit qu’elle voulait me parler. Un an plus tard, ses spasmes avaient quasi disparu..
(Aujourd’hui, Sonia a reçu un accord pour vivre en France et peut enfin se sentir en sécurité.)

Rachel m’explique ce qui l’a amenée à fuir son pays. Récit douloureux, qu’elle a déjà fait plusieurs fois, d’abord au premier service d’urgence qui l’a reçue, puis aux travailleurs sociaux du Cauda, enfin aux médecins qui l’ont examinée. La difficulté d’en parler n’en est pas amoindrie, il lui faut du courage, et presque une sorte d’héroïsme, pour affronter à nouveau le regard d’une personne inconnue. La chaleur, la vivacité de Marie, la traductrice, qui l’a accompagnée au cours de toutes ces démarches, la soutiennent. A trois, nous finissons par faire « maison », par faire rencontre.

Cette jeune femme a été emprisonnée et très gravement maltraitée pour avoir vu ce qu’elle n’aurait pas dû voir. Au cours d’un stage dans une grande administration, elle a découvert un détournement d’argent commis par un haut membre du gouvernement. Quelques mois plus tard, des hommes armés ont fait irruption chez elle, l’ont frappée, l’ont emmenée en prison. La tante chez qui elle habitait a été si violemment battue qu’elle en est morte. Sa famille a pris la fuite et s’est éparpillée.

Très peu de temps après, des amis, au péril de leurs vies, l’ont aidée à s’évader, mais le pire était arrivé, elle avait subi en prison des viols collectifs et se trouvait enceinte suite à ces viols.

Rachel me dit qu’elle ne parvient plus à penser. Elle qui fut étudiante, qui savait utiliser sa mémoire et son intelligence, se sent à présent très ralentie et comme à côté d’elle-même. Elle peine à dormir, à se nourrir, ses maux de tête sont violents. Elle éprouve une énorme envie de s’isoler, de se taire, de s’absenter à elle-même.

– Heureusement, merci à Dieu, me dit-elle, les examens ont montré que je n’ai pas le sida.

De combien de mois est-elle enceinte ? Deux mois. Je comprends le sentiment d’urgence des éducateurs du Cauda, il est temps encore de faire un avortement. Je lui pose la question : envisage-t-elle d’interrompre cette grossesse ? Non, elle veut garder cet enfant. Ma religion, me dit-elle (elle est baptiste) m’interdit d’avorter. L’interprète, qui a l’âge d’être sa mère, discute avec elle en portugais, je comprends qu’elle tente de la convaincre, Rachel reste calme et décidée. Je me dis qu’elle est sans doute mue par d’autres raisons, dont je ne devine rien.

Deux mois ! Il y a deux mois seulement, elle se trouvait en prison, en Angola. Qui l’a aidée à s’évader, qui a trouvé et payé le passeur, qui a payé les billets d’avion ? Ses amis baptistes, me dit-elle.

L’enfant

Notre entretien se centre sur l’enfant, c’est pour lui qu’elle est venue, elle s’inquiète, que lui dira-t-elle – je reprends ses mots – de son père, de son papa ?

Nous pouvons entendre sa question de plusieurs façons.

La première, c’est que la vérité étant insoutenable, insupportable, que dire, que faire, face à une telle butée ?

Que dire à cet enfant de son origine, que lui dire qui lui permette de construire son sentiment d’identité, à partir d’une narration intelligible, qui ait du sens ?

Peut-elle faire le choix du mensonge délibéré ? Elle l’évoque, pour aussitôt s’y refuser, elle n’en sera pas capable.

Et aussi, tout simplement, que lui dire d’un père.

Cette question est celle de la fracture, fracture au sein de son propre récit de vie, à elle Rachel, fracture d’un récit impossible pour le petit.

A ceci, je n’ai moi non plus pas de réponse, mais peut-être peut-on retravailler la question elle-même.

Je lui dis qu’il n’y a pas de père, qu’un violeur n’est pas un père. Il y a juste eu un spermatozoïde. Plus tard, si elle rencontre un homme avec qui elle s’entend bien, si cet homme souhaite adopter l’enfant et qu’elle l’accepte, il en sera le père, et lui seul.

Je parle, mais je perçois bien que mes explications raisonnables n’ont guère d’effet, qu’elles n’entament pas le noyau de certitudes de Rachel, qui est qu’un père est celui avec qui le foetus s’est formé.

Nous revenons sur la butée : comment penser, comment parler avec elle de la conception de l’enfant qu’elle porte ? Cette conception en forme d’effraction a quelque chose de si violent que le tissage normal de la narration se bloque. On ne sait plus que dire.

Et quel poids risque de peser sur cet enfant, quand, tout naturellement, il lui arrivera de faire des colères, si à ce moment sa mère entend en écho ses agresseurs ?

Alors, afin de desserrer l’étau, pour elle, pour le petit en devenir, malgré l’obstacle de nos deux langues, me vient le conte de la naissance de l’enchanteur Merlin.

Ce conte va savoir lui parler mieux que je ne saurais le faire. Il va pouvoir nommer, décrire l’abus sans peser, laissant mon auditrice libre de puiser dans le récit ce qui lui convient, à son heure, à sa façon. En parlant à un niveau métaphorique, il va autoriser son esprit à prendre possession des images, de leur enchaînement et travailler à un retournement de sens. J’espère qu’il va lui permettre de se projeter vers l’avenir.

Cette histoire s’impose à moi sans que je la cherche. Je ne l’ai pas lue ou entendue depuis longtemps, peut-être même le récit qui se forme à cet instant est-il bien différent de l’original, mais je n’ai pas d’hésitation, puisqu’il vient là, entre nous, c’est que je peux lui faire confiance.

C’est ainsi qu’à cette jeune femme qui arrive tout juste d’Afrique, à l’aide d’une traductrice, je dis ce conte, qu’elle écoute avec une grande attention.

Le conte de Merlin l’enchanteur

Il était une jeune fille très pieuse et d’une grande sagesse à qui les démons souhaitaient faire du mal. L’un d’eux attendit qu’elle soit profondément endormie, il se métamorphosa en être plat, se glissa sous la porte, prit une forme d’homme et sous cette forme, abusa d’elle, qui dormait. Elle se retrouva enceinte sans comprendre ce qui lui était arrivé. En ce temps là, dans ce pays là, une fille non mariée qui attendait un enfant était jetée en prison. Après sa délivrance, on confiait l’enfant à des religieux tandis qu’elle-même était mise à mort. Vint le jour de la naissance, le garçon qu’elle mit au monde était entièrement couvert de poils sombres, ainsi qu’un petit singe. Sitôt né, il s’assit, regarda les juges et se mit à parler. Il expliqua ce qui était arrivé et dit que grâce à la bonté de sa mère, toute la malfaisance du démon avait été éliminée de lui. Certes, il était né de l’acte du démon, mais son cœur et son esprit avaient été formés par sa mère, qui l’avait entièrement tourné vers le bien.

La jeune femme eut la vie sauve et Merlin devint le plus grand des enchanteurs. Il connaissait le passé et prédisait l’avenir, il savait interpréter les rêves, pouvait se transformer en oiseau, voler dans le ciel, se métamorphoser en poisson et nager dans la mer. Bien que parfois taquin et un peu déroutant, il fut toujours d’une grande sagesse et de bon conseil, il accomplit d’innombrables prodiges.

Il y eu un silence, puis Rachel nous dit qu’un démon ne peut être un père. L’image du démon lui parlait, c’était une image juste, forte, à la hauteur de ce qu’elle éprouvait. Un démon, c’est à dire un être non humain, constitué de méchanceté, de haine et de ruse. Un démon ne peut être un père, un papa ; c’est un usurpateur. Un violeur ne peut être un père. Il n’y a pas de père dans cette histoire. Voici un point, le premier, qui était devenu tout à fait clair, qui aspirait à l’être, et pour lequel le conte avait offert un support juste.

Cette fois là et les suivantes, nous avons pu alors échanger sur ce qui fait que l’on devient parent, père ou mère. Un spermatozoïde ne fait pas un père, pas plus qu’une matrice ne suffit à faire une mère. Il devint évident entre nous qu’être parent est avant tout une affaire de cœur et d’engagement.

Merlin l’enchanteur nous a permis ainsi de séparer radicalement l’aspect biologique de la fécondation de son aspect humain. En temps ordinaire, il n’est pas nécessaire d’opérer cette coupure, dans ce cas précis, c’était essentiel. La totale inhumanité de l’agresseur, au point qu’il n’avait pas de visage et ne portait pas de nom, figurée dans le conte par le fait qu’il était de nature démoniaque, a établi avec fermeté cette distinction.

Alors que Merlin est né d’une transgression, lui-même n’est pas un transgresseur, il est au contraire un personnage digne d’être aimé, un protecteur et un modèle que l’on admire. Le conte opère à nouveau une rupture entre l’enfant et le géniteur biologique. Grâce à la sagesse de sa mère, Merlin métamorphose la puissance magique du démon en puissance bénéfique. Ce puissant processus fera de lui, plus tard, le maître des métamorphoses. La malfaisance n’est pas héréditaire. Pour réaliser une telle opération, le récit fait appel à un tiers : Dieu. Le lien à Dieu, ou si nous préférons le dire autrement, le lien aux lois qui nous humanisent, est l’élément clé qui permet à l’enfant né du malheur d’être entièrement et sa vie durant une excellente personne.
Image à nouveau qui parle à Rachel qui, de toute sa force, s’appuie sur sa foi pour supporter son épreuve. Nous pouvons dire que la conception de son enfant connaît deux temps distincts, successifs, le premier concerne l’effraction par la violence ; le second est celui où Rachel se pense, se vit mère, en lien à sa croyance en Dieu, et dans l’idée que Dieu veut que cet enfant vive.
Sous cet angle encore, le conte est aidant, car il ouvre à la possibilité de cette conception en deux temps: une première, diabolique, porteuse de destruction psychique, qui s’opère la nuit ; une seconde, choisie, où la destruction est retournée en son contraire, qui s’opère en plein jour, en pleine conscience, et qui annonce la naissance à la vie d’un sujet riche de promesses. Conception en deux temps, les choses de la chair sont pétries, transformées, sublimées par l’esprit.

Concernant l’agression elle-même, le conte propose encore un support important. La jeune fille est abusée durant son sommeil, elle est privée de sa qualité de sujet, elle est à ce moment là chose absente, objet du démon. Rachel, qui fut avec ses compagnes battue et humiliée, retrouve dans cette image la privation de sa qualité de sujet. En parler permet de renouer son fil de vie à cette question précise. On m’a traitée comme un objet, ce disant, elle affirme et réaffirme qu’elle n’en est pas un. Le conte permet d’en parler sans revivre le traumatisme, sans remettre de bois sur les braises, tout en centrant son propos sur un point essentiel.

Rupture de sens dans la filiation

Trois années plus tôt, j’ai conté cette même histoire dans une situation également extrême, liée à de l’inceste.

J’ai rencontré une femme qui avait découvert que son mari avait commis des agressions sexuelles graves sur des fillettes de leur famille. Elle était, entre autres, très inquiète pour ses fils adolescents, âgés de treize et dix-sept ans. Ils avaient honte de ce père, honte de porter son nom, ils le maudissaient, ce qui se comprend aisément, mais ils avaient également honte d’eux-mêmes et avaient peur de leur propre sexualité, grande peur et confusion quant à ce qu’eux mêmes pouvaient devenir. Ils s’orientaient vers de graves conduites d’échec et commençaient à mettre en oeuvre des comportements suicidaires. Je lui ai conté la naissance de Merlin l’enchanteur, en lui proposant de le dire à son tour à ses fils. La magie de Merlin avait opéré ; pas à pas, cette femme avait pu suivre le détachement des garçons à l’égard de cet homme toxique, hautement incapable d’être père. Elle les avait accompagnés dans leur quête de tuteurs de valeur, auprès de qui ils avaient réussi à continuer d’apprendre à vivre. Ils les avaient trouvés, professeurs, oncles, grand-père, disponibles, bienveillants, pétris de bon sens. Le conte leur avait parlé, il leur avait fourni des images et des concepts efficaces. Cet homme, qui avait le titre officiel de père, mais n’en occupait pas la place, avait perdu toute possibilité de leur offrir des repères identificatoires. Leur histoire ne se construisait plus avec lui, ni même contre lui, mais en dehors de lui. Leur nom même, qui au delà de cet homme, les rattachait à une longue lignée, ne constituait plus une difficulté insurmontable. L’un d’eux, très bon élève, aspira à devenir policier, gardien du droit et de la justice, ou avocat, défenseur des victimes. Au cours de tous ces échanges, d’elle à moi, d’elle à ses fils et en retour avec moi, le conte a circulé, s’est redit, ses enfants lui ont demandé à le réentendre.

Situations extrêmes, où le lien de filiation perd toute signification humanisante. Et justement, Merlin qui était né d’un démon, Merlin devenu un grand civilisateur, avait pu nous aider, cette fois encore.

Conter avec interprète

Je n’avais jamais conté avec interprète et n’avais pas imaginé que ce fut possible. L’aisance, due à Marie, avec laquelle nous avions échangé a rendu le fait assez naturel.

Il s’est donc agit d’un dispositif à trois.

J’ai conté, phrase après phrase, attendant que Marie traduise avant de poursuivre. Le conte fut ainsi donné deux fois ; deux fois le ton, l’atmosphère du conte se sont répétés. Car Marie n’a pas seulement traduit, elle a conté à son tour, donnant à ses phrases le souffle et la voix du merveilleux.

Je contais, Rachel écoutait sans comprendre, mais sensible au ton du conte, Marie contait, j’écoutais sans comprendre mais sensible à sa voix. Cela produisit une sorte de polyphonie à trois, appensantie d’un silence plein, qui se répétait, dans le rythme du conte.

L’attente de Rachel, puis la mienne, dans ce va et vient entre nos deux langues, a contribué à donner sa densité à ce récit, elle l’a alourdie de présence, sans lui faire perdre sa fluidité. Au total, la valeur du conte fut comme attestée par son passage d’un pays à l’autre, il venait de loin et d’il y a longtemps, il fut conté dans bien des langues et des patois, et ce jour là, c’est à nous qu’il parlait.

Du mieux

Rencontrant Rachel à nouveau quelque temps plus tard, elle me dit qu’elle avait écrit le conte dans son cahier, qu’elle y avait beaucoup pensé. “Il m’a apporté un grand soulagement” a-t-elle ajouté.

Ainsi, elle a dit deux fois « je », une fois en l’écoutant, en échangeant à son propos, puis une seconde fois en se l’appropriant par l’écriture. Ce “je” la tirait hors de cette sorte d’absence à soi-même où elle ne se reconnaissait pas. Ecrire, c’était aussi retrouver l’étudiante qu’elle avait été, si peu de temps auparavant.

Donc, elle allait mieux. Bien évidemment, nous avions conscience toutes deux que les blessures dues aux traumatismes qu’elle avait subis ne s’étaient pas miraculeusement cicatrisées. Cependant un point essentiel, concernant l’enfant à venir, s’était humanisé, non par décision ou par sentiment de devoir, mais parce que la question du père s’était clarifiée, ainsi que celle de la transmission des valeurs qui font de nous des êtres humains à part entière.

Un jour, si la vie le permet, cet enfant aura un père adoptant. Pour l’heure, il n’a que sa mère, et l’amitié de ceux qui l’entourent.

Quant au récit de sa conception, élément fondamental de notre sentiment d’identité, Rachel m’a fait comprendre que seul comptait le deuxième temps, celui où elle décida qu’elle le mettrait au monde, “avec l’aide de Dieu”. Pour le reste, elle verrait à mesure ce qu’elle pourrait en dire.

Au cours de nos entretiens suivants, il est arrivé que d’autres contes surgissent, venant soutenir Rachel dans la reprise en main de son existence. Elle me dit un jour qu’elle avait entendu des contes enfant, dans son village, qu’elle aimait ça. Marie se mit à chercher des contes en portugais dans ses placards et lui en apporta un jour une grande brassée. Les contes ainsi ont nourri notre lien et nos échanges, contribuant à rattacher Rachel à sa base de santé.

Le « Je » narrateur

Viennent d’autres femmes, cette fois parlant français, en demande d’asile, en quête de sécurité, à qui je serai amenée à parler à l’aide de contes.

Elles ont subi, elles et leurs proches, des faits de guerre, des maltraitances criminelles. Leur venue en France a été rendue possible grâce à des actes de solidarité, parfois héroïques, un médecin, des prêtres, des amis, se sont démenés, ont trouvé l’argent, les moyens. Un homme, faisant partie du groupe des agresseurs, mais n’ayant jamais fait de mal à Marcelle, lui a ouvert un soir la porte en catimini en lui disant de s’échapper, et où aller et vers qui.

La famille de Sonia a vendu tout ce qu’elle possédait afin de lui permettre de s’enfuir.

La désorientation de ces femmes est considérable, pleurer, pleurer encore tant le malheur est grand. Il leur est difficile de ne plus avoir peur, de ne plus se méfier, d’accepter de se reposer. Le vécu traumatique rend l’idée d’avenir comme impossible. C’est trop dur, trop déchirant, trop violent, d’avoir vu son père se faire torturer, puis se faire tuer d’une balle sous ses yeux. Le corps a cicatrisé, mais les douleurs insistent, mal au ventre, maux de tête.

Beaucoup d’entre elles avaient des enfants à charge : neveu, fils d’une sœur décédée, petites sœurs, ou leurs propres enfants, pour qui elles craignent le pire, dont elles ne savent plus rien.

Le « je » narrateur qui est en chacun de nous, chez elles se trouve altéré, comme déchiqueté.

Je découvrirai plus tard combien les enquêteurs de l’OFPRA1 butent sur l’incohérence des récits que font les demandeurs d’asile. Les enchaînements s’effritent, ce qui devrait être net est flou, morcelé, illogique, la narration est constituée de lambeaux, de morceaux qui tiennent mal ensemble.

Etre sous l’effet de graves traumatismes, c’est ne plus pouvoir se raconter, ne plus pouvoir être ce témoin de soi qui permet de lier les divers éléments de sa propre vie, et à partir de là, de rencontrer les autres, ainsi que d’envisager son avenir.

L’anonymat du mal

Les agresseurs n’ont pas de visage, soit qu’ils sont cagoulés, masqués, soit qu’ils se fondent dans un anonymat dû au fait d’opérer en groupe. Pas de visage, pas de nom, sauf parfois des noms de guerre. Certains, des mercenaires, ont été recrutés dans une autre ethnie, afin de ne pas parler la même langue que leurs victimes et de limiter le risque qu’ils éprouvent de la compassion, voire de la honte. Tout ce qui peut faire rencontre humaine normale est proscrit: le nom, le visage, le regard, la parole, remplacé par des expressions grimaçantes ou très neutres, des cris, des coups, un regard vague.

Floutage de l’agresseur dont l’individualité est réduite à celle du chef.

Le groupe les dissimule, les violeurs de Rachel surgissent en groupe, opèrent en groupe, agressant l’ensemble des prisonnières de sexe féminin prises en masse. Leur individualité, comme celle de leurs victimes, est dissoute. Le « je », ce « je suis, je pense, je rêve », tant celui des agresseurs que celui des victimes, à cet instant, se volatilise dans la violence.

Ecoutant ces femmes, je pense au livre du philosophe Morad El Hattab2, Chroniques d’un buveur de lune . Réfléchissant au mal et à son contraire, l’amour, l’auteur, qui a longuement pensé à ce qui s’est passé à Auschwitz, nous dit que le mal, c’est quand il n’y a plus de « je » mais du « on ». Le bourreau obéit aux ordres, sa propre conscience n’est pas mobilisée, ce n’est pas lui qui fait, c’est l’ordre qui se fait à travers lui. Et l’autre, qui subit, aussi devrait devenir du « on », du numéro, du sans nom, sans visage et sans parole.

Un point fondamental de la lutte des prisonniers des camps nazis, ou staliniens, a consisté à se cramponner à ce « je » farouche qui vivait en soi, narrateur riche de mémoire, riche de pensée. C’est le « je », la personne consciente de soi, qui est visée, que le donneur d’ordres du bourreau cherche à annihiler. C’est là que chez la victime, cela résiste. La fiction sous toutes ses formes, poésie, roman, et bien sûr les contes sont alors des outils de résistance. Dans les camps de concentration, on se disait des contes. Evguénia Guinzbourg3, condamnée à dix-huit ans de prison et de bagne sous Staline, nous montre comment elle et ses compagnes mobilisent leur mémoire et leurs capacités créatives, afin de tenir. Elles se disent des poèmes, en écrivent, se récitent des ouvrages entiers. Rester narrateur de soi, narrateur de l’événement et de soi avec les autres dans l’événement, c’est être vivant.

J’accueille la douleur à mesure qu’elle peut se dire. Quand on a reçu de si affreuses blessures, quand on a tant peur pour ceux qu’on aime, parler trop tôt, trop vite, peut aggraver le mal. J’écoute, parfois il n’y a rien à dire, rien à répondre, juste être là, bien là, comme on le fait avec une personne en grand deuil. D’autres fois la parole est impuissante, mais le silence ressemble à de l’abandon, j’emprunte alors le détour des contes parce qu’il s’agit d’une parole de valeur universelle, qui ne cherche pas à atténuer la vérité, en même temps qu’elle n’appuie pas sur la douleur. Je dis des contes pour rejoindre la partie vivante que je sens présente, sous la croûte suicidaire, des contes pour essayer d’éviter à ces jeunes femmes la gangrène d’un souvenir sans cesse revécu. Je tente ainsi de faire une offre qui leur permette de remobiliser leur « je » narrateur, ce « je » de la conscience de soi, digne et valeureux, ce “je” qui résiste aux dégâts de la déshumanisation.

Des contes

L’un d’eux est Le chemin des fleurs.

Ce mythe dû aux aborigènes australiens, que j’ai noté ailleurs4, nous dit qu’aux commencements des temps de la vie des humains, rien ne manquait. L’affection et la bonne humeur régnaient. Le bonheur de tous était d’autant plus grand que le dieu, le dieu Piam, symbole de cette joie de vivre, habitait au village. Et puis… et puis, voici que la nourriture vint à manquer, la faim entraîna les disputes, des cris, des coups, le dieu Piam finit par se lasser de cette agitation et il s’en alla, pareil à un oiseau, à travers les airs, jusqu’en haut de la montagne Oomo. Arbres, oiseaux, fleurs insectes, suivirent le dieu, et bientôt, même les chants et les grands récits qui tenaient ce petit groupe humain debout, même eux disparurent à leur tour.

L’histoire se poursuit. La perte des récits fondateurs est une perte de soi, pareille à une mort. Ne plus connaître sa filiation, ne plus être sûrs des grandes lois qui organisent notre psyché, ne plus savoir qui on est, c’est devenir pareils à des animaux. La détresse alors mobilisa le groupe. Les sages, les plus âgés d’entre eux, décidèrent d’aller chercher le dieu Piam, afin de lui demander de revenir vivre parmi eux. Longue marche, dans la chaleur éprouvante du désert, longue marche brûlante, douloureuse, dans l’inconnu. Le dieu Piam les accueillit, mais refusa de revenir au village, car il avait trouvé son lieu de paix. Il s’intéressait aux humains cependant et chargea les messagers de graines et de pousses. Ainsi, avec le retour des sages, tout put renaître, arbres et fleurs, tout put revenir, miel et chants, mais revenir différemment.

Contant Le chemin des fleurs, j’insiste sur la perte des récits fondateurs, puis sur la marche dans le désert, l’arrivée au pied de la montagne, la montée si difficile, et enfin la reprise d’une nouvelle capacité à se dire. Ces images parlent. Les femmes les utilisent à leur tour: je suis dans le désert, la montagne est trop haute, j’ai peur de ne pas trouver le sentier. Tant qu’on n’a pas trouvé le chemin, on n’est pas sûr d’y arriver.

Contes qui parlent de nos deuils, d’autres qui disent combien les épreuves nous transforment, ils viennent à mesure dans le cours de nos échanges. Ils participent au fait que ces femmes émergent peu à peu de la seule énumération de la douleur. Leur pensée se mobilise autour d’images de résistance, Elles peuvent, par exemple, imaginer et entreprendre des démarches pour avoir des nouvelles de ceux qu’elles aiment, et en particulier des enfants. Fait très important, elles s’isolent moins, s’entraident plus, leur peur des autres s’atténue. L’amitié devient un puissant facteur de réconfort. Leur “je” narrateur se nourrit, se renoue à soi-même. La peur et le chagrin n’ont pas disparu, mais ils n’occupent plus la même place, ils peuvent être dits.

Edith Lombardi.


1. OFPRA: Office français de Protection des réfugiés et apatrides. Cet établissement public instruit les demandes des demandeurs d’asile.

2. El hattab Morad, Chroniques d’un buveur de lune, Albin Michel.

3. Guinzbourg Evguénia: Le vertige (tome 1) Sous le ciel de la Kolyma (tome 2) Témoignage. Seuil, coll. Points.


Annexe : Quelques mots sur l’Angola.

C’est un pays qui ressemble à un gros quadrilatère, situé à l’Ouest de l’Afrique, dans l’hémisphère sud, accolé à la république démocratique du Congo au nord, à la Namibie au sud. La découpe de ses frontières est due au colonialisme, les différentes ethnies occupant des territoires ignorent, ou ignoraient ces frontières, mais un sentiment d’identité nationale s’est peu à peu constitué.

Eléments historique :
Fin du 15ème siècle, première arrivée des Portugais.
16ème, traite intensive des noirs à l’aide d’une ethnie, les Kongos. (Toutes ces ethnies pratiquaient l’esclavage : criminels, prisonniers de guerre…) Les esclaves capturés par les Portugais sont déportés au Brésil, ainsi qu’à Cuba.
Il s’opère dans cette région la plus grande traite d’esclaves de toute l’Afrique.
17ème, les Portugais sont momentanément chassés par des mouvements internes, viennent les Espagnols, puis les Hollandais, et à nouveau les Portugais. On estime qu’il y eut 16 millions d’Africains ainsi déportés, dont 4 millions auraient survécu au voyage.
En 1836, les Autorités portugaises interdisent la traite des noirs, mais ce n’est pas la fin du malheur… le 19ème est occupé par une conquête progressive de l’intérieur des terres, les Portugais s’appuyant toujours sur les divisions ethniques. Ils s’enrichissent grâce au sucre, au café, au coton, au bois, ils exploitent le fer, les diamants et bientôt le pétrole.
La fin du régime colonial est décrétée en 1962.
S’ouvre alors une guerre civile qui durera 26 ans, où s’opposent des forces alliées à Cuba et à l’URSS (le MPLA) et d’autres, alliées à l’Afrique du Sud et aux USA (L’Unita). Cette guerre détruit les infra-structures qui étaient en place: Santé, Justice, éducation. Elle génère chaos et extrème pauvreté.
Elle se conclut par un gouvernement d’union.
Le pays peine à se relever, il y règne une grande insécurité et les rares voyageurs sont invités à la plus grande des prudences. Les tensions politiques et sociales sont très vives.

La langue du pays est le portugais, ainsi que quelques langues bantoues.

 


La violence conjugale

Comment en sortir

(voir aussi Traiter la violence conjugale dans la rubrique « livres »)

Bats ta femme, si tu ne sais pas pourquoi, elle le sait. (Proverbe européen traditionnel)

La violence conjugale est depuis longtemps, et encore de nos jours, un mal à demi secret, plus important qu’on ne le pense. Au croisement de l’espace intime et du phénomène social, il nous interroge sur notre nature humaine.

La conférencière nous dit comment et pourquoi, de nos jours, des femmes, dominées par un conjoint qui les maltraite, décident de ne plus subir ; et comment des couples en danger de violence peuvent réussir à en déjouer le risque. Le titre de la conférence : « La violence conjugale, comment en sortir », nous dit qu’il n’y a pas de fatalité.